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Radical Notes 5

Rock et Révolution [Rock e rivoluzione]

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Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de « Casabella » , du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 « Radical Notes ». L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du XVIIIe siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » ( « Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972 ). Texte proposé et présenté par Nathalie Bruyère.

Toutes les analyses sur l’histoire du costume dans les années 1960 s’accordent sur un phénomène dans lequel elles reconnaissent l’étincelle qui a déclenché un processus en chaîne, qui n’a pas encore fini de croître. Ce signe prémonitoire des tempêtes futures était le r’n’r’ du roi de Memphis, le grand Elvis Presley.

Elvis, et tous les phénomènes qui l’ont suivi – des Beatles à Bob Dylan, du pop art à l’underground – sont généralement rassemblés par les historiens de la période dans une sorte d’« histoire parallèle » à d’autres phénomènes, considérés comme autonomes et de nature strictement sociale, tels que le mouvement de protestation des jeunes, la « révolution » française de mai, les mouvements politiques extraparlementaires, les grandes grèves, etc.

Ces derniers événements, pour la raison même qu’ils naissent des « contradictions structurelles » du système social, semblent avoir une logique propre, libre de toute influence de type culturel, et encore moins musicale. Mais ceci n’est vrai que jusqu’à un certain point.

Il est vrai que la lutte politique n’a rien à voir avec la culture, et il est également vrai que ce ne sont pas les intellectuels qui déterminent les grands événements de l’histoire mais les considérations économiques ; néanmoins, il n’en reste pas moins juste qu’il existe un lien d’un type particulier entre ces phénomènes (Elvis Presley – Mai en France) qui n’est pas de cause à effet, mais plutôt, dirais-je, de nature psycho-physique. Je m’explique. Les contradictions du système sont des permanences et il y a toujours eu des milliers de raisons de se rebeller. Tout le monde les connaît et les vit continuellement, et pourtant de longues années passent sans qu’une voix ou un début de protestation sociale ne se manifeste : personne n’a la force de bouger, de briser ces structures de comportement modelées par les considérations que la morale et l’esthétique édifient autour de nous, nous disposant à la passivité.

C’est à ces niveaux qu’agissent alors les phénomènes de masse tels que le rock and roll ou les minijupes de Mary Quant : la libération d’activités psychomotrices telles que la danse pop ou le sexe, comme base de communication spontanée, créent dans la société ou dans une partie de celle-ci une nouvelle liberté qui devient celle du jugement et du mouvement et, par conséquent, une nouvelle charge politique qui va dans le sens de la destruction d’un équilibre fictif basé sur l’inhibition. Ces manifestations de « consommation de masse » qui peuvent agir profondément sur le développement vers l’autodétermination ne proposent au consommateur ni un modèle culturel à atteindre, ni un modèle idéologique codifié, mais elles lui font accomplir certaines actions, certains mouvements, certaines activités qui sont en soi thérapeutiques.

C’est précisément la direction que prend aussi l’avant-garde : elle radicalise, dans les phénomènes culturels, la composante primaire, toujours spontanée, et tend à réduire à zéro toutes les technologies et les codes d’interprétation formelle.

La musique, qui représente un média international homogène, constitue en outre une référence de base pour de nombreux autres phénomènes de nature différente. Les liens directs entre la musique pop et les mouvements d’avant-garde sont toujours restés dans ce cadre de référence : la seule exception, je crois, est le groupe 9999 de Florence (Fiumi, Gam Caldini et Birelli) qui, depuis quatre ans, gère le Space Electronic, un grand club dans lequel se sont produites les meilleures vedettes de la pop-musique internationale, et pour lesquelles le groupe fait souvent office d’impresario. Leur lien avec ce monde est des plus sains : ils ne se présentent pas comme des missionnaires pleurnichards en croisade pour la musique moderne, car ils ont compris qu’une telle musique n’a aucun message codifié mais qu’il est important qu’on la joue et qu’on la danse. La vocation culturelle que le groupe théorise systématiquement est celle de pouvoir arrêter de travailler pour se consacrer exclusivement à la vie : un but de grande importance et d’une grande maturité, que les intellectuels n’ont pas eu le courage d’admettre, préférant dissimuler leur attitude de « ne rien faire » derrière une sorte d’aisance bourgeoise et non comme une révolte radicale, menée de manière risquée à la première personne, contre le travail. Le choix du groupe 9999 est précis : gérer sa propre culture de manière privée, sans la déléguer à des structures institutionnelles. C’est la raison pour laquelle ils doivent aller « à l’intérieur » des choses et les faire manuellement, avec une modestie artisanale dénuée d’ambition managériale ; ils ont par exemple réalisé un livre sur leur travail qu’ils ont édité à 500 exemplaires, avec une couverture en cuivre gaufré à la main. Un travail qui a pris six mois.

Casabella, vol. xxvii, n° 374, février 1973, p. 10.


Notule par Nathalie Bruyère

Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de Casabella, du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 Radical Notes1. L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du xviiie siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » (« Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972).